Varois de naissance, Patrice Collazo a fait sien le slogan « Ici, tout est différent » bien avant le RCT. De sa carrière de joueur atypique, où il a connu sept mutations et six clubs dont un en Angleterre, à celle d’entraîneur où il détonne dans un milieu où les anciens piliers sont une rareté, en passant par un caractère là encore à part, l’actuel manager du Racing 92 a toujours suivi un chemin bien à lui. Dans un long entretien accordé à Ruck Zone, dont voici la première partie, il s’est penché sur cette « patte Collazo » qui le distingue en tant qu’entraîneur.
À quel moment as-tu pensé à devenir entraîneur ?
C’était quand j’étais en Angleterre sur mes années à Gloucester (2005 à 2008, ndlr) avant de finir ma carrière au Racing. Avec Olivier Azam, comme on était à l’étranger, on avait une autre réflexion car on était dans une culture et un contexte différents de la France. On a donc passé notre premier diplôme tous les deux là-bas. C’est quelque chose qui m’a tout de suite attiré. Après, je suis revenu en France et j’ai passé mon DES pour pouvoir être entraîneur de rugby ici.
Pourquoi y a-t-il autant d’anciens talonneurs et si peu d’anciens piliers parmi les entraîneurs du rugby professionnel ?
Beaucoup de talonneurs ont monopolisé le poste, mais ils ont oublié que, dans leur carrière, sans les piliers à côté, ils n’auraient pas pu exister donc ils ont la mémoire courte ! Plus sérieusement, je crois que ça dépend de comment on vit le rugby déjà en tant que joueur. Ça dépend aussi si on se projette dans le futur. Je crois qu’aujourd’hui, il faut une réflexion quand on joue, et ce à tous les postes. Quand on joue pilier aussi, déjà pour la mêlée. Pour ma part, j’étais aussi attiré par le jeu, donc je me suis de suite intéressé à beaucoup de choses : aspect physique, technique, stratégique… Mais après, oui, on peut dire que les talonneurs ont monopolisé le truc !
« Je n’étais pas simple à entraîner »
Tu étais plutôt pilier à l’ancienne ou pilier moderne ?
Ce n’était pas un colis piégé pour moi le ballon ! J’adorais aussi la mêlée qui était différente à cette époque. J’ai eu la chance de commencer très jeune et de jouer des joueurs de différentes générations, un peu plus « à l’ancienne » et axé sur la mêlée. Ça a été un bel apprentissage. C’est un poste qui est qui dur mais qui demande aussi pas mal de réflexion et on apprend beaucoup sur soi.
En tant que coach, comment aurais-tu « géré » le joueur Patrice Collazo ?
Déjà je pense que je n’étais pas simple à entraîner. Rugbystiquement, je me suis toujours régalé partout où je suis passé avec les entraîneurs que j’ai connus mais en termes de caractère, cela pouvait être compliqué. Quand je ne jouais pas, je le vivais comme une forme d’injustice et j’ai mis du temps à comprendre que l’entraîneur, en fait, faisait simplement jouer les meilleurs.
Le rugby est-il devenu un autre sport avec l’arrivée des caméras et de la vidéo ?
Que ce soit rucks, plaquages, mêlées, ballons portés… l’arbitrage n’était effectivement pas le même. Il y avait moins de caméras et les arbitres de touche n’étaient pas non plus prioritaires pour signaler les fautes. L’arbitre de champ devait tout gérer. Et quand il faut gérer seul 30 personnes, il y a un paquet de trucs que vous ne voyez pas.
Un entraîneur peut-il imposer immédiatement son style en arrivant dans un club ?
Il faut s’adapter mais ça, je l’ai connu après. Ce qui marche à un endroit ne marche pas forcément à un autre et ce qui a marché pour moi à La Rochelle n’a pas forcément marché à Toulon. Il faut savoir aussi se renouveler, s’adapter et tenir compte des joueurs qu’on a à disposition. Quand vous êtes sur un projet à très long terme, vous arrivez à moduler l’effectif comme à La Rochelle où j’ai fait sept ans et vous arrivez à un truc qui vous semble le meilleur compromis avec vos idées et vos convictions. Mais il y a aujourd’hui un espace temps – résultats qui est aussi primordial. Il faut donc gagner des matchs et s’adapter très vite au contexte avec les joueurs qu’on a. Et quand on arrive dans un effectif, les joueurs sont déjà sous contrat. Il faut quasiment trois ans pour renouveler un effectif donc il faut être très vite opérationnel.
Quelle est alors la place pour les convictions ?
J’ai des convictions ! J’ai eu la chance de ne passer que dans des grands clubs, avec des cultures assez différentes et marquées. À Toulon, c’était très axé sur le combat. J’ai été également très marqué par mon passage à Toulouse et j’en ai gardé beaucoup de choses sur la polyvalence, la manière de jouer, la suppléance des postes dans un match – tout le monde doit savoir faire une passe, s’adapter ou lire une situation – du pilier jusqu’au quinze. En Angleterre, on était plus sur la dimension physique et athlétique. J’ai donc essayé de faire un mix de tout ça. Même si j’ai un goût prononcé pour le combat, j’aime entraîner une équipe offensive ballon en main. Mais pour pouvoir être offensive, elle doit déjà gagner le combat.
« Il ne faut pas faire jouer les joueurs à contre-nature »
Que fais-tu en premier en arrivant dans un club ?
Déjà, il faut scanner où on est et à qui on s’adresse. Parce que comme je l’ai dit – et je m’en suis aperçu avec le temps – Ce qui a marché à un endroit ne marche pas à un autre. Il faut de suite voir comment on va manager le groupe avec ses différentes personnalités. La façon dont le rugby se vit à Toulon, à Toulouse, au Racing est totalement différente et il faut s’adapter. Après, il faut un cadre autour de l’équipe, même s’il peut y avoir une totale liberté dans ce cadre, et respecter certaines règles. Je pense à la discipline et la vie de groupe. Je veux que les joueurs vivent le club, qui n’est pas juste un endroit pour s’entraîner. On a la chance de faire un métier qui est une passion, autant le faire pour gagner.
La réalité du terrain t’a-t-elle déjà poussé à changer ton plan de jeu ?
Quand je suis parti de La Rochelle, on avait atteint une forme de jeu assez portée sur l’offensive avec une ligne de trois-quarts véloce et des joueurs devant assez polyvalents. Quand je suis arrivé à Toulon, on passait sur un autre modèle, avec une ligne de trois-quarts talentueuse mais pas du tout dans le même morphotype. À La Rochelle, on était sur du 85 kg de moyenne et à Toulon, on était plus sur 105-110 kg. J’ai voulu les faire jouer de la même façon et je me suis trompé. Autant j’aime parfois mettre les joueurs dans l’inconfort, mais si on veut très vite embarquer tout le monde, il faut très vite les mettre dans un registre qu’ils maîtrisent et ne pas les faire jouer à contre-nature.
Quelle est ta part d’affect dans la gestion des hommes ?
J’ai fait du management uniquement avec de l’affect pendant des années à La Rochelle où c’était un projet où on est partis de la Pro D2 jusqu’aux demi-finales de Top 14. Vous créez donc un lien différent avec les mecs. Quand vous prenez un joueur que personne ne connaît en Pro D2 et que trois ans plus tard, il joue en Top 14 et est sélectionné avec l’équipe de France, vous avez des rapports forcément différents que j’ai toujours gardés avec eux. Et puis après, quand vous arrivez à Toulon dans un effectif déjà en place, le copier-coller ne marche pas, il faut embarquer les joueurs différemment. Je peux être dur parce que, pour moi, il y a un ordre : le club, l’équipe et le joueur. Le joueur ne peut pas être au-dessus du club ou de l’équipe et les clashs que j’ai eus ont souvent été liés à ça. Quant au management pur, un joueur peut tout me demander, et je peux donc tout lui demander rugbystiquement.
Collazo Père Fouettard : cliché ou réalité ?
Aujourd’hui, on colle des étiquettes et on met les gens dans des cases. Un entraîneur qui est content quand il perd, je n’en connais pas. Un entraîneur qui, à un moment donné sur le bord du terrain a besoin de crier pour faire passer une consigne, il y en a tous les week-ends en Top 14. Je ne suis donc pas une exception à la règle. Je me définirais comme quelqu’un qui vit le truc : on appartient à une institution qui représente quelque chose et même si on n’y a pas été joueur, on doit défendre cette institution, ses valeurs et une certaine éthique.
Sur quoi as-tu évolué en termes de management ?
J’ai compris avec le temps qu’on ne peut pas entraîner les joueurs sept jours sur sept. Il y a des jours où il faut les occuper, d’autres où il faut les distraire et d’autres où il faut les entraîner. Une fois que j’ai compris ça, je crois que je me suis amélioré dans mon management et que j’ai même gagné en qualité de discours, parce qu’on n’est pas constamment dans l’énergie. C’est un métier qui en demande beaucoup, de l’énergie, et le temps de parole aussi. Il ne doit donc pas être dissout parce que sinon on n’a plus d’impact sur les choses au quotidien et on n’a plus d’impact le week-end.
« J’ai du mal avec le manque de franchise et la malhonnêté intellectuelle »
Ta relation avec la presse et les journalistes t’a aussi longtemps pris beaucoup d’énergie…
Si vous êtes lisse, effectivement il ne se passera rien. À l’inverse, si vous êtes un personnage qui peut avoir des pics, le traitement médiatique est totalement différent. Je ne vais pas me plaindre. Il y a des choses qui peuvent m’agacer mais c’est soit que la question n’est pas appropriée, soit qu’elle n’a pas de sens et j’ai du mal avec le manque de franchise. Après, on vous met dans une case et on a le traitement médiatique qu’on mérite. Il a parfois été bon et parfois, les journalistes ne se sont pas gênés pour m’achever mais ça fait partie du truc.
Et ?
Après, il y a des combats que je ne mène plus car ils sont perdus d’avance. Avant, j’étais souvent dans le tac-o-tac. Mais je me cale aussi sur la personnalité et le niveau de la question. Quand elle n’est pas au niveau, ma réponse va avec. Pour la personnalité, j’aime la franchise, je n’aime pas les non-dits, pas quand on passe par la porte de derrière et qu’on tourne autour du pot. J’ai eu depuis très longtemps des rapports conflictuels avec certains journalistes mais il y a peut-être aussi eu des manquements de leur part. Et j’ai aussi gardé de très bons rapports avec certains. Aujourd’hui, on va dire que je fais plus le tri et je suis moins dans la réponse instantanée. Si la question est juste là pour envoyer un pic et faire réagir, disons que j’ai passé l’âge.
Qu’est-ce qui a pu ou peut encore te faire « dégoupiller » ?
Les clashs que j’ai eus étaient souvent aussi pour protéger l’équipe et l’institution. Quand ça gagne, il n’y a pas de problème, mais quand ça perd… S’il y a une attaque, je ne la prends pas directement contre moi mais souvent contre l’équipe ou le club et j’ai tendance à de suite monter au front. Bon, aujourd’hui, comme je l’ai dit, monter au front ne me dérange pas mais je préfère quand même mettre de l’énergie ailleurs. Encore une fois, je me cale sur la personne en face de moi et j’ai du mal avec le manque de franchise et la malhonnêté intellectuelle. Je le sens chez une personne et à partir de là, il peut effectivement y avoir conflit.