Parole de coach – Patrice Collazo (2/2) : « Le maintien est un mot que je n’emploie quasiment jamais « 

Premier technicien à passer sur le grill de "Parole de coach", l'actuel manager du Racing 92 Patrice Collazo est revenu sur le chemin qui l'a mené vers cette carrière d'entraîneur reconnu. Influences, principes, personnalité... l'ancien pilier nous a ouvert les portes de son univers (partie 2).

Varois de naissance, Patrice Collazo a fait sien le slogan « Ici, tout est différent » bien avant le RCT. De sa carrière de joueur atypique, où il a connu sept mutations et six clubs dont un en Angleterre, à celle d’entraîneur où il détonne dans un milieu où les anciens piliers sont une rareté, en passant par un caractère là encore à part, l’actuel manager du Racing 92 a toujours suivi un chemin bien à lui. Dans un long entretien accordé à Ruck Zone, dont voici la deuxième partie, il s’est penché sur cette « patte Collazo » qui le distingue en tant qu’entraîneur.

Qu’est-ce qui te motive encore à entraîner ?

C’est de gagner ! J’ai entraîné dans différents clubs : des clubs qui ont joué le haut du tableau, des clubs qui ont joué le maintien… Et c’est vraiment de gagner. Démarrer une saison pour dire qu’on va jouer le maintien, ce n’est pas mon truc. Arriver à Brive, à Montpellier, au Racing, et parler de maintien, c’est des discours que je n’aime pas. J’entraîne aussi pour plein de choses parce qu’on a besoin d’être au centre du truc, des joueurs, d’un staff. Cela fait quasiment 60 personnes à manager. Bien-sûr qu’on ne fera jamais l’unanimité – j’ai compris que c’était impossible – mais je crois surtout à la justesse et à la loyauté. Quand je prends une décision, c’est pour l’équipe et le club.

Quel est ton rapport à la pression ?

J’entends souvent ce mot. Mais si on ne veut pas de pression, on fait autre chose. Le haut niveau, c’est l’adrénaline, être au centre d’une mission et embarquer les gens. Quand on arrive quelque part, pour un projet ou pour une mission maintien, il faut embarquer les joueurs, le staff, les supporters et l’ensemble du club. Ce sont des choses qui procurent de belles sensations.

Comment composes-tu avec les réseaux sociaux au sein du vestiaire ?

Maintenant, je me mets dans le vestiaire et j’accompagne les joueurs pour les transitions vidéo et autres, comme ça ils savent qu’ils n’ont plus le temps ! Bon ça fait partie de l’évolution du rugby. J’ai du mal avec ça parce que c’est de la mise en scène. Ok le rugby est un vaste théâtre mais c’est pour moi du rugby « vis ma vie ».

« Pompier de service, ça ne m’emballe pas trop »

Que penses-tu du terme « pompier de service », venu du foot, qu’on t’attribue désormais ?

Cela veut dire que le rugby devient comme le foot, tout simplement. La différence est qu’au foot, lorsqu’un entraîneur arrive en cours de saison, il vient a minima avec quelqu’un. Au rugby, vous arrivez seul. La première fois que je suis arrivé à Brive, je ne connaissais personne dans le staff, qui était composé à 90% de Brivistes. Tout de suite, vous vous dites que vous serez une pièce rapportée.

Et ?

Ça s’est finalement hyper bien passé. J’ai adoré fonctionner avec eux, j’ai été très vite adopté et j’ai découvert des gens incroyables. Après à Montpellier, on était six personnes nouvelles dans le staff mais on n’avait jamais travaillé ensemble non plus, donc il a fallu s’adapter. Et au Racing, on arrive tout seul, donc encore de l’adaptation. Alors après c’est marrant parce que sur mes trois dernières expériences – on peut dire que je suis compliqué en termes de caractère – mais sur ces one shots ça s’est hyper bien passé avec les staffs. Il ne faut donc pas croire tout ce qu’on dit. Et pour en revenir au terme « pompier de service », ça ne m’emballe pas trop car ça reste pour moi du management et sortir un club d’une passe compliquée est une belle mission. Comme l’est le métier de pompier d’ailleurs.

On t’a fait venir à Brive, à Montpellier et au Racing 92 pour sauver ces clubs et obtenir ce maintien dont tu n’aimes pas parler…

C’est paradoxal mais c’est un mot que je n’emploie quasiment jamais. À La Rochelle, même quand on est monté, je ne l’ai jamais employé. Je leur parlais déjà de qualif’ et de titre. Même à Brive, nous avons eu un moment une bonne passe et j’ai dit aux joueurs : « Les gars, on ne doit pas viser la 12e place sinon on va finir 13e. Encore moins la 13e car on va finir 14e. » À Montpellier, on a aussi eu une série où on pouvait intégrer le top 6 en cas de victoire à Toulon. On en a pris 50, ce qui veut dire qu’on n’était pas calibrés pour ça. Mais j’incite toujours à vouloir plus. On fait du rugby pour gagner. Le corpo, le participatif, le rugby loisir, ce n’est pas quelque chose qui m’attire. Quand je rentre quelque part, que ce soit au tennis, au padel ou aux fléchettes, c’est pour gagner. Si je sais que je ne peux pas gagner, je ne démarre même pas.

« On a vite fait de vous coller une étiquette »

Tes deux dernières missions maintien réussies à Montpellier et au Racing sont-elles ton assurance pour les années à venir d’avoir quoiqu’il arrive des appels pour du travail à partir de décembre ?

Je ne souhaite pas le malheur aux autres. Je ne me réjouis pas du malheur d’un entraîneur car pour l’avoir vécu, quand on est en situation d’échec, c’est très compliqué. Je suis arrivé après Jeremy Davidson à Brive, après Richard Cockerill à Montpellier et après Stuart Lancaster au Racing. Ces personnes ont des CV de fou donc ce n’est pas parce que cela ne marche pas à un endroit que vous êtes un mauvais entraîneur. Malheureusement, on a vite fait de vous coller une étiquette. Autant dans le foot, vous pouvez rebondir très vite, autant dans le rugby vous pouvez être mis au placard. C’est ce qui me dérange un peu.

Tu parles beaucoup du foot, que tu dis apprécier et suivre malgré sa réputation de sport plus individualiste que le rugby…

On a le cliché du joueur de foot mais prenez les entraîneurs qui gagnent dans les grands clubs – Ancelotti, Guardiola… – quand vous avez un vestiaire avec autant d’ego et que vous arrivez à gagner, c’est que vous avez réussi à faire comprendre que l’institution est plus forte que l’individu et passe quoiqu’il arrive avant. Il n’y a pas de secret. Les grands entraîneurs de foot sont ceux qui ont cette capacité à embarquer tous ces joueurs dans un projet commun. On le voit aujourd’hui avec le PSG : la star, c’est l’équipe. Au début, tout le monde ne parlait pas en bien de Luis Enrique et aujourd’hui tout le monde dit qu’il est bon. Pourquoi ? Parce qu’il a replacé l’église au milieu du village. Si tu n’es pas content, tu pars du PSG, qui que tu sois. Et si on fait le parallèle avec le rugby, si Toulouse gagne autant, c’est aussi parce que l’institution est au-dessus.

Le capitaine est aussi le garant de l’institution. Si tu devais désigner un capitaine parmi tous les joueurs que tu as entraînés, qui serait-il ?

Je vais me faire des potes (rires). J’ai eu la chance d’entraîner de très grands joueurs mais malgré ce qu’on pense, ce n’est pas forcément le mec qui a 90 ou 100 sélections qui coche toutes les cases. Je dirais plutôt celui qui incarne le club à l’image de Uini Atonio à La Rochelle. J’ai croisé un très bon joueur de club qui n’a pas eu de carrière internationale mais cochait pour moi toutes les cases : Saïd Hirèche. J’ai aussi entraîné Henry Chavancy qui, en plus d’avoir fait toute sa vie dans son club, cumule sélections et titre. C’est le top. Ce serait donc un mix entre plusieurs avec une personne qui fait l’unanimité dans un groupe. Il faut que quand le capitaine parle, pas un mec ne tourne la tête. C’est dur à trouver car tout le monde a des hauts et des bas mais il faut qu’humainement et à 90% du temps rugbystiquement, il fasse l’unanimité.

Avec l’expérience, dans quel cadre préfères-tu aujourd’hui entraîner : avec des sollicitations permanentes comme à Toulon ou dans l’anonymat façon Racing ?

Les deux ne me dérangent pas, cela fait déjà quelques temps que je vis différemment tout ça. J’ai eu la chance de jouer dans des stades pleins, de gagner des titres, de jouer pour des titres, de jouer pour le maintien, pour se qualifier en Coupe d’Europe… C’est mon expérience perso mais qu’on m’arrête dans la rue ou pas, cela n’a pas d’impact sur moi alors que cela en a plus sur les joueurs. Avant j’étais par exemple adepte des huis clos. Aujourd’hui, s’il y a du monde à l’entraînement et que la presse est là, elle est là et je considère que ça fait partie du décor. À Montpellier, trois jours après avoir gagné l’access match, j’arrive à la gare pour me garer et un type me dit « Merci ». Je lui demande pourquoi, je pensais qu’il voulait la place de parking et il me dit « Bah pour l’access ». Je suis resté con. Tout ça pour dire qu’il y ait des sollicitations ou pas, 500 personnes à l’entraînement ou pas, je m’adapte.

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