« Peut-on avancer le rendez-vous de quinze minutes, je dois accompagner ensuite les Juniors de mon club pour un match en Ariège ? ». Et pas question pour lui de rater un tel moment ! Du haut de ses 81 printemps, Henry Broncan sillonne encore les routes de son Gers et des environs pour transmettre sa science unique du rugby et profiter à plein des mille et une joies que lui procure toujours le monde de l’ovalie.
Un lien fort que celui qui a connu les dernières heures d’Auch dans l’élite en tant qu’entraîneur (il a entraîné le FCA de 1998 à 2007) se réjouit de partager avec sa terre gersoise, où le rugby a pénétré les cœurs plus que nulle part ailleurs sur le territoire hexagonal. Quand il nous en a parlé, assis dans la tribune du terrain annexe du stade Jacques-Fouroux, ses yeux se sont mis à pétiller et on a eu tendance à l’écouter comme un élève aurait écouté religieusement son professeur.
Vous êtes lié à jamais à ce stade d’Auch. Qu’est-ce qu’il vous évoque ?
Il y a évidemment le terrain principal mais j’aime beaucoup le terrain d’entraînement. C’est là que le FC Auscitain préparait ses matchs, là que les joueurs suaient et là que se gagnaient les places. Le rugby, c’est bien-sûr l’heure et demie de match le week-end mais pas que. Et ce terrain est pour moi légendaire.
Qu’auriez vous dit si on t’avait annoncé il y a 40 ans qu’un ancien joueur d’Auch monterait un jour les marches du festival de Cannes ?
Je suis d’une autre époque et d’un autre monde. Ce que je sais, c’est qu’Antoine Dupont ne fait pour l’instant aucune faute, il est très fort. La pression sur lui va toutefois être de plus en plus forte et j’espère qu’il continuera à ne faire aucune faute car on est dans un monde de jaloux et certains n’attendent qu’une chose : qu’il fasse une bêtise. C’est le côté malsain des gens qui gravitent autour du rugby et qui se servent plus du rugby qu’ils ne le servent.
Quel sentiment vous procure le fait que le Gers soit toujours, proportionnellement à sa population, le département où l’on joue le plus au rugby ?
J’en suis très content. Je l’explique par le fait que les terrains soient faciles d’accès. J’habite à Mirande et si un gosse veut aller taper le ballon au stade, personne ne va lui dire de partir. Il n’y a pas énormément d’activités non plus ici, le rugby est le sport numéro 1 et les enfants y sont très attirés car c’est aussi un moyen de se faire connaître. Et puis on a eu tellement d’exemples de réussite, à l’image de Jacques Fouroux.
« On a besoin d’une locomotive »
Cet intérêt des Gersois pour le rugby malgré l’absence de locomotive professionnelle n’est-il pas la preuve d’une passion sincère pour ce sport ?
Bien-sûr ! J’aime bien aller voir les petits clubs et je vois toujours plein de passionnés au bord des terrains, ainsi que des bénévoles formidables. J’accompagne aujourd’hui les Juniors de l’entente Miélan-Mirande à Foix et il y a deux cars de supporters et 30 voitures qui s’y rendent. On parle d’un simple match de Challenge Occitanie, pas du championnat de France. C’est aussi ça le Gers.
Vous avez parlé de Jacques Fouroux, un nom qui parle dans le rugby français. Que représente-t-il pour vous ?
J’ai été Junior à Auch quand il était Cadet. Il a trois ans de moins que moi, il traînait toujours dans nos bottes et il voulait passer pour l’ancien alors on le renvoyait un peu dans les cordes (rires). Je l’aimais beaucoup. C’était un type extraordinaire, un fou de rugby qui a toujours défendu les petits clubs. Il a été mon président, c’est lui qui m’a fait venir à Auch en 1998. Personne d’autre que lui n’aurait pu me faire quitter Lombez-Samatan. Il était très fort pour diriger les hommes. J’ai été très ami avec lui jusqu’à la fin (Fouroux est décédé en 2005).
Quel héritage a-t-il laissé dans le Gers ?
Jacques Fouroux mesurait 1,62m pour 68 kg. Cela prouve qu’avec du caractère et du travail, on peut devenir un très bon joueur de rugby et lui l’a été avec l’équipe de France. C’est le plus beau palmarès du rugby français. On a aussi d’autres exemples, comme nos internationaux actuels. Mais il ne faut pas non plus s’endormir sur ses lauriers. C’est difficile, nous n’avons plus de club dominant. Auch, Fleurance et L’Isle Jourdain sont en Nationale 2 et j’aurais aimé qu’un d’eux, par exemple Auch, soit au moins en Nationale car on a besoin d’une locomotive. Si on divise par 3 les forces, on aura 3 équipes moyennes.
« La descente aux enfers du FC Auch : « Les Gersois l’ont très mal vécue, cela a été un traumatisme »
Prônez-vous une fusion de ces 3 clubs pour former une super entité gersoise ?
Regrouper des clubs dans le Gers, ce n’est pas facile car il y a des particularismes, des clochers, des histoires du passé… Mais je serais d’avis d’aller même au-delà du Gers, peut-être avec les clubs des Hautes-Pyrénées où on voit que Tarbes est aussi en difficulté. Si on pouvait se regrouper… Mais ce n’est pas facile. Les histoires du passé, les gens qui se jalousent… c’est aussi un peu notre force. Les petits clubs veulent garder leur identité et c’est bien aussi.
Comment les Gersois ont-ils vécu la descente aux enfers du FC Auch dans les années 2010 ?
Ils l’ont très mal vécue, cela a été un traumatisme. Je crois qu’à un moment donné, le club s’est trompé. Notre force était d’être petit et il ne fallait pas prendre le chemin des grands. C’est ce que le club a voulu faire et il l’a payé. C’est dommage car juste derrière la génération qui est descendue en troisième division, il y avait à l’intérieur du club des Dupont, des Jelonch, des Alldritt, des Bourgarit. Ils étaient là et auraient tous joué un an plus tard en première. Le club a craqué et ces gosses sont partis mais je crois qu’ils ont toujours le cœur gersois et auscitain.
« Un bon jeune chez nous ne reste plus, il part dès les Cadets »
Le manque de rugby de haut niveau dans le Gers est-il compensé par la présence des têtes d’affiche que vous avez citées en équipe de France ?
On ne peut pas se contenter du passé. À partir du moment où il n’y a plus de locomotive, un bon jeune chez nous va vite se retrouver à Mont-de-Marsan, Pau, Toulouse, Colomiers etc. Il ne reste plus, il part dès les Cadets. Tant que le Gers ne sera pas capable de refaire un club au moins en Nationale, on assistera à ce phénomène. C’est dommage car en restant ici, comme ça travaille très bien dans les clubs, les jeunes qui resteraient jusqu’en Juniors ne perdraient pas leur temps.
Sur un plan personnel, comment expliquez-vous le fait de traîner encore sur tous les terrains du Gers et d’ailleurs à 81 ans ?
Je ne peux pas m’en passer. Je fais ce qu’il me plait, le reste de m’intéresse pas. Et le rugby m’intéresse tout le temps, car il reste un mystère. Je suis toujours incapable de dire que le rugby se joue de telle ou telle manière. Tous les week-ends, on apprend quelque chose. C’est un sport fantastique et riche et celui qui pense qu’il peut l’expliquer dans un cahier ou une vidéo se trompe. Quand vous êtes sûr de gagner, c’est là que vous perdez.
Quel regard portez-vous sur les innombrables changements de règles depuis que vous avez commencé à exercer ?
Le législateur fait le maximum pour rendre le rugby possible. C’est vrai qu’on est innondé de règles et que c’est fatigant, mais heureusement aussi qu’il y a des règles et qu’elles bougent. Cela donne aussi de plus en plus d’importance à l’arbitre, qui est un élément décisif dans un match de rugby.
Vous avez été un des premiers à assumer de dire que bien connaître la façon d’arbitrer de l’arbitre, c’est se donner une chance supplémentaire de gagner…
Au rugby, c’est toujours le meilleur qui gagne mais on entend aussi parfois que tel arbitre a fait pencher la balance d’un côté. C’est donc à l’entraîneur de bien connaître son arbitre, ce qu’il siffle, comment il est et subit la pression d’un match. C’est très riche d’appréhender l’arbitrage des arbitres.
« Ne disons pas que les Français sont divisés puisqu’ils sont quand même capables de s’entendre sur le rugby »
Vous avez vu le rugby beaucoup changer sur le terrain en 60 ans. En a-t-il été de même autour et en dehors du terrain ?
Oui ! On voit beaucoup de jeunes et aussi beaucoup de femmes. Je crois d’ailleurs que les femmes sont l’avenir du rugby. Je suis étonné de les voir faire des analyses que des hommes ne seraient peut-être plus capables de faire. Je taquine quand je dis qu’on sera peut-être champions du monde le jour où on aura une femme à la tête de l’équipe nationale et je plaisante à peine.
Le rugby s’est aussi ouvert à tous les milieux et notamment aux quartiers populaires…
Il y a 30 ans, lorsque je participais à des stages d’entraîneurs, on se retrouvait parfois avec des entraîneurs de football. Et ils nous disaient « Nous, nous allons chercher des joueurs dans les cités, vous n’en avez pas! ». Et c’est vrai qu’il y en avait très peu. Depuis, des éducateurs ont fait ce chemin d’aller prêcher le rugby dans les cités et on a pu récupérer des gamins. C’est un travail qui m’aurait plu. J’ai enseigné un temps au Mirail (un quartier très sensible de Toulouse, ndlr), j’avais amené une dizaine de garçons au rugby et cela leur avait beaucoup plu. Aujourd’hui, le rugby est allé dans les cités et on retrouve ces garçons parfois en équipe de France. C’est formidable ce que le rugby peut apporter à ces gosses.
Mettre plus de rugby dans la société ne serait-il pas une solution pour l’apaiser de ses tensions ?
Le rugby, c’est énorme. Le week-end dernier, j’assistais à un match entre Lembeye et Saint-Gaudens. Il y avait un monde fou : des gens de LFI, d’autres d’extrême droite, des gens qui regardent l’Assemblée Nationale où personne ne peut se supporter… Ne disons pas que les Français sont divisés puisqu’ils sont quand même capables de s’entendre sur le rugby, qui est pourtant compliqué, et de vivre des bons moments ensemble. Je crois que le rugby est un exemple même si on a un peu de drogue, du sexisme etc. Il n’est pas parfait à l’image de la vie mais montre qu’on peut avoir des opinions politiques totalement différentes, s’entendre quand même et former une équipe pour vivre quelque chose de bien ensemble.