Paroles dans le rugby : le sifflet et la fureur

Vendredi soir, au stade Jean Alric, la rencontre entre le Stade Aurillacois et Dax (Pro D2) a basculé dans un tumulte qui dépassait le simple cadre du sport. Des décisions arbitrales contestées, un public chauffé à blanc, et au centre du terrain, une arbitre - Mme Groizeleau - cible d’une bronca d’une rare violence. Ce n’est pas seulement un match qui s’est joué, mais un épisode de plus dans l’interminable affrontement entre passion et raison, entre sifflet et tribune.
Aurillac-Dax, vendredi 17 octobre, stade Jean Alric. Deux équipes déterminées, des tribunes endiablées et, au milieu, une arbitre conspuée et huée tout au long de la partie.
Aurillac-Dax, vendredi 17 octobre, stade Jean Alric. Deux équipes déterminées, des tribunes endiablées et, au milieu, une arbitre conspuée et huée tout au long de la partie.

Paroles dans le rugby : le sifflet et la fureur

Vendredi soir, au stade Jean Alric, la rencontre entre le Stade Aurillacois et Dax (Pro D2) a basculé dans un tumulte qui dépassait le simple cadre du sport. Des décisions arbitrales contestées, un public chauffé à blanc, et au centre du terrain, une arbitre - Mme Groizeleau - cible d’une bronca d’une rare violence. Ce n’est pas seulement un match qui s’est joué, mais un épisode de plus dans l’interminable affrontement entre passion et raison, entre sifflet et tribune.

Vendredi soir, au stade Jean Alric, la rencontre entre le Stade Aurillacois et Dax (Pro D2) a basculé dans un tumulte qui dépassait le simple cadre du sport. Des décisions arbitrales contestées, un public chauffé à blanc, et au centre du terrain, une arbitre – Mme Groizeleau – cible d’une bronca d’une rare violence. Ce n’est pas seulement un match qui s’est joué, mais un épisode de plus dans l’interminable affrontement entre passion et raison, entre sifflet et tribune.

Vendredi soir 17 octobre, sous le marasme automnal du Cantal, le stade Jean Alric vibre déjà sous les projecteurs et le froid mordant. Aurillac reçoit Dax dans un Pro D2 à haute tension, une rencontre où chaque mêlée, chaque touche, chaque geste pouvait basculer en drame sportif. Les supporters, serrés dans leurs parkas, attendent un choc rugueux. Mais, plus que les placages ou les essais, c’est l’arbitrage – et plus précisément les décisions de l’arbitre, Mme Groizeleau – qui devient le cœur de la polémique.

Les sifflets l’ont cueillie dès le coup d’envoi, les huées ne la quitteront presque plus. « Elle nous fait chier p*****, elle nous casse les c****, elle ne voit rien« , peut-on entendre depuis les gradins. Virile, mais correct. Une pénalité jugée sévère contre Aurillac, un hors-jeu sifflé tardivement, une mêlée effondrée « oubliée« , jusqu’au carton rouge de Lucas Oudard, pour un plaquage objectivement haut et dangereux. Le tableau d’affichage s’emballe. Dax prend le large. La fureur monte. Dans les tribunes, le respect bascule en dérive : des chants acides, des insultes, et des regards accusateurs portés vers celle qui porte le maillot vert. Les propos dérapent (que nous ne mentionnerons pas). Les sifflets d’abord épars deviennent houle. Au fil des minutes, chaque coup de semonce est une étincelle. Mais c’est une autre tension qui vient gonfler les tribunes : celle qui s’invite quand l’arbitre devient personnage principal.

Quand le respect quitte les tribunes

Elle, l’arbitre du soir, garde le visage fermé, concentré. Sa gestuelle est nette, ses décisions assumées. Mais autour d’elle, les travées et le pesage grondent. Des huées insistantes, des insultes à la limite (de la limite). Le public ne conteste plus seulement des fautes : il conteste une autorité. Et parce que cette autorité est féminine, la colère se teinte d’un soupçon d’arrière-goût amer. Comme si la frontière entre critique sportive et attaque personnelle, ce soir-là, venait à s’effacer. Des mots gras et grossiers, d’un autre-temps, descendent des gradins. On aurait dit que l’arbitre devenait le réceptacle de tous les griefs, de tous les désarrois. « C’est vrai que les propos tenus dépassent le cadre de l’ovalie et du respect« , nous glisse un supporter en bord de terrain. Mais c’est le rugby, non ? »

« Le public exige la justice du football, quand les sanctions tombent au moindre couac, au moindre dérapage, mais dans le rugby, celle-ci est complexe, souvent nuancée, rarement parfaite« , tancera un autre supporter en fin de partie. Le rugby, pourtant, se veut différent. Il se drape dans ses valeurs – respect, humilité, fraternité – comme dans une seconde peau. Mais ces dernières années, les stades grondent plus fort. Les arbitres, jadis figures quasi sacrées du jeu, deviennent cibles de toutes les rancunes. Les réseaux sociaux amplifient, les micros captent, les caméras relaient. L’erreur, jadis pardonnée, devient faute professionnelle. L’arbitre, ce juge solitaire au milieu des colosses, se retrouve livré à la vindicte du week-end. Paradoxe d’un sifflet pourtant sacralisé. L’arbitre « a toujours raison« , apprend-on dès l’école de rugby.

La soirée où le sifflet a pris le vent de face

Ce soir-là, à Aurillac, le rituel s’est inversé : au lieu du respect, le vacarme ; au lieu du silence, les huées. Certains diront que c’est le prix de la passion, que la ferveur est la rançon du rugby vivant. D’autres y verront un symptôme plus inquiétant : la perte de cette retenue, de cette noblesse du geste et du mot, qui fait la singularité du rugby français. Faut-il rappeler que l’arbitre, homme ou femme, n’est ni juge céleste ni bourreau ? Qu’il se trompe parfois, oui, comme un buteur manque une transformation. Que sa parole, même contestée, fonde la continuité du jeu ? C’est lui qui permet que la partie existe. Sans ce sifflet, le chaos régnerait. Pour le meilleur et pour le pire, ces décisions font le jeu. Quitte à changer des rêves (celui d’une Coupe du monde à la maison pour notre part) en cauchemars.

Le phénomène n’est pas nouveau : chaque saison, dans chaque division, les critiques pleuvent. Les entraîneurs relèvent « incohérences », les supporters parlent « d’injustice ». L’arbitre est jugé « partial », « trop laxiste », « trop sévère ». Cela fait partie des meubles, comme on dit. « Ces reproches, parfois, naissent du simple désir d’expliquer l’échec, de désigner un responsable lorsqu’une victoire échappe« , concède Yannick Labrousse, doctorant psychologue-sociologue en Alsace, grand connaisseur de l’ovalie. Mais la répétition, la virulence de certains propos à Jean Alric ce soir-là, montre que ce qui était autrefois murmure est devenu grondement.

Quand le public déborde le jeu

« On peut comprendre la frustration : le rugby est un sport d’émotions, de proximité, poursuit le futur praticien. Le stade est un lieu de communion, de passion, aussi de contestation. » Mais il y a une ligne que beaucoup franchissent : quand on arrête de critiquer une décision sportive pour attaquer l’être qui arbitre – sa personne, son genre, sa voix, ses gestes -, on sort du débat pour entrer dans la dérision, voire l’agression morale. « Elle l’a vu, elle l’a vu« , scande Jean Alric ce soir-là, quand l’arbitre internationale vient « enfin » à siffler en faveur des locaux. Bon enfant. Il n’est pas question ici de blâmer les rires qui ont accompagné la chute en arrière de Mme Groizeleau, lorsque la petite voiture télécommandée qui amenait le tee au buteur maison l’a fait trébucher, mais plutôt de tancer certains propos qui ont accompagné ses décisions. Jusqu’où peut-on s’exprimer ? Où placer le curseur dans ce cas ? Entre les valeurs de l’ovalie et les traditions dans le stade ?

Les hommes et femmes en vert restent conscients, de la plus petite division à la plus haute strate internationale : « L’arbitre joue un rôle ingrat. Il doit être juge, médiateur, parfois psychologue. Il doit savoir tenir ferme ses décisions malgré les chants hostiles, maintenir l’équité malgré les pressions, repartir à chaque décision sur une base de règles partagées. » Et le public, de son côté, pourrait gagner à se souvenir de cette vérité : l’arbitre se trompe parfois – c’est humain – mais insulter, menacer, hu­milier ne répare rien.

Le cri des tribunes, le poids du sifflet

Ce vendredi, le stade Jean Alric donne une leçon différente : que la colère, lorsqu’elle se fait démesurée, transforme un moment de sport en théâtre de l’agressivité. Les joueurs, eux, sur le terrain, luttent physiquement ; l’arbitre, exposée, lutte pour rester au-dessus de la mêlée verbale. « Et le public, dans ses cris, s’élève contre elle, non seulement pour ce qu’elle décide, mais souvent parce qu’elle est celle qui décide« , pour le socio-psychologue.

Les spectateurs d’Aurillac quittent le stade tard, mais heureux, la victoire ayant finalement fait oublier des décisions qu’ils n’ont cessé de tancer et de bouder. Et les propos qui en ont découlé. « C’est humain de critiquer l’arbitrage. Dans tous les sports, on crie, on conteste, on proteste, voire, on applaudit, explique Thierry Fabrègue, fervent supporter du Stade Aurillacois. C’est parce qu’on est des supporters. On est avec les joueurs, on pousse avec eux. On les protège, on les accompagne. Et quand on les estime lésés, on le manifeste. Que l’arbitre soit un homme ou une femme. » Sur le terrain, les joueurs, eux, se sont déjà serré la main. L’arbitre rentre aux vestiaires sans un mot, entourée de deux délégués, mais tête haute. Le silence du tunnel contraste avec la clameur du stade. Mme Groizeleau ne donne finalement pas suite à nos sollicitations.

Que reste-t-il des valeurs du rugby ?

Le rugby, ses valeurs, ses principes : respect, solidarité, humilité. Ce sont eux qui sont en jeu. L’arbitrage n’est pas un ennemi, mais une fonction nécessaire. « Ce n’est pas un bouc émissaire, mais parfois le miroir dans lequel le public voit ses propres exigences, ses propres colères non canalisées« , étaye le doctorant. Et quand le sifflet résonne dans la nuit, c’est tout le stade qu’on entend, dans ses joies, ses déceptions et ses limites. Ce match d’Aurillac-Dax restera dans les mémoires non pour les essais, peut-être pour son scénario, mais surtout pour ce bruissement amer quand l’arbitre, femme au sifflet, est huée, conspuée, jugée. Un moment où le public a oublié la règle première : celle du respect. Si le rugby est un art du geste collectif, il est son pilier silencieux.

Le rugby aime à dire qu’il est un sport d’Hommes et de valeurs. Mais il serait temps d’admettre qu’il est aussi un sport de parole et que cette parole, quand elle dérape, blesse plus sûrement qu’un plaquage mal ajusté. Ce vendredi, à Jean Alric, le sifflet n’a pas tremblé. Ce sont les voix autour qui ont failli.

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