Mattieu Bidau est aujourd’hui un deuxième-ligne épanoui. A 29 ans, et après une carrière exclusivement professionnelle à Dax, le joueur formé à Pessac Alouette (Gironde) évolue à Langon, en Nationale 2, avec des ambitions intactes. Posé et souriant, Bidau s’est longuement confié à Ruck Zone afin d’y évoquer sa saison et la gestion de son emploi du temps désormais bien différent d’avant.
Surtout, le grand deuxième-ligne a accepté de revenir, pour la première fois, sur ce qu’il a vécu en janvier 2022… le soir de son anniversaire. Alors avec des copains, Mattieu Bidau est victime d’un AIT (accident ischémique transitoire, un mini AVC sans séquelle au cerveau), d’une trentaine de secondes. Ce dernier résulte d’une malformation du coeur, présente chez de nombreuses personnes mais qui ne se déclare pas tout le temps.
S’en est suivie une longue période de doutes, de convalescence et une opération chirurgicale évidente. Avec du recul, le garçon originaire de Pessac raconte cette difficile épreuve mais se réjouit d’être aujourd’hui en pleine forme. Entretien.
RUCK ZONE. – Comment se passent tes débuts à Langon, toi qui n’a connu que le monde professionnel ?
Mattieu Bidau : Je ne vais pas te cacher que cet été, après neuf années à Dax, mon quotidien a changé. Cela a été un petit peu dur quand même. Il fallait prendre en compte la route, aussi. Même si je l’avais décidé puisque j’ai fait le choix de rester vivre à Dax et le club l’a accepté aussi. Il y a eu un vrai changement au niveau des entraînements. A côté de ça, j’ai été très bien accueilli à Langon. C’est un club qui est très familial. Les mecs sont super. J’ai retrouvé la même ambiance que j’avais eu la chance d’avoir à Dax. On était très copains tous ensemble. Donc ça y est, je m’y suis fait. J’ai trouvé mon rythme et je suis très content d’être à Langon.
Ce rythme n’est-il pas trop compliqué avec ton double projet ?
Avant la fin de ma carrière professionnelle, j’avais commencé à préparer mon après-carrière. Mon papa a une entreprise de bâtiment général. J’y ‘avais déjà travaillé un peu mais je savais que je n’avais pas envie de faire ça parce que le rugby m’a déjà un peu cassé physiquement (sourire). Sur ces deux dernières années de rugby en Pro D2, ça a été assez compliqué pour moi avec de grosses blessures, notamment une pubalgie et une rupture du tendon d’une épaule. C’est pour ça que j’avais pris les devants. Je me suis reconverti dans le conseil en gestion de patrimoine. J’ai commencé des formations, j’en ai validé une. Là, je suis en train de valider la deuxième. J’ai déjà commencé à faire des rendez-vous avec des clients. C’est hyper cool parce que tu peux commencer ça en double activité. Ce qui fait que j’ai encore plus de temps parce que forcément, en étant en Langon, on s’entraîne le soir parce que tous les mecs sont en double activité. J’ai le temps de travailler ma reconversion professionnelle la journée. Et en plus de ça, je peux continuer à faire ma musculation et à garder une sorte de système professionnel, comme j’avais à Dax.
En ayant la chance de gérer mon emploi du temps, mon rythme de vie est un peu plus simple, dans le sens où les entraînements sont quand même moins costauds physiquement. Le corps est moins touché. Après, j’ai quand même la route, mine de rien. Le mardi par exemple, je fais l’aller-retour entre Dax et Langon. Ce qui fait une heure et demi aller, une heure et demi retour. Le jeudi, je reste dormir sur place et je rentre le vendredi ou même des fois, j’y passe le week-end. Comme ça, je passe le week-end chez ma famille. Cela fait entre quatre et six trajets dans la semaine.
Langon est favori à la remontée. L’abordez-vous en vous disant cela clairement ?
C’est une pensée. Forcément, c’est un objectif aussi, pas forcément caché car les équipes le savent. Quand une équipe descend, elle cherche à remonter derrière. Mais bon, même en Nationale 2, il y a des clubs qui sont professionnels. Les mecs ne font que ça toute la journée. Nous, on n’a pas que ça. A Orléans, on a vu qu’il y avait une petite différence quand même sur 80 minutes, sur la charge mentale et physique. Maintenant, c’est sûr qu’on peut quand même se permettre d’aller chercher des résultats. On a des mecs qui ne se prennent pas la tête, et qui font du rugby plaisir.

Tu as connu de nombreuses blessures au cours de ta carrière… Difficile physiquement mais aussi mentalement, non ?
Chez le sportif professionnel, le mental est très important. Mais on a la chance de faire un sport collectif. Donc, quand on est blessé, on arrive toujours à trouver du soutien. Moi, c’était le cas à Dax. J’avais du soutien de la part des copains. Je l’ai vraiment ressenti, encore l’année dernière, sur ma grosse blessure à une épaule. Mentalement, c’est compliqué de se dire que si je n’avais pas été blessé, peut-être que j’aurais pu jouer plus. Peut-être que l’année dernière, si je ne m’étais pas fait une rupture du tendon d’une épaule au troisième match, j’aurais pu prolonger à Dax. J’aurais pu aller chercher de nouveaux objectifs. Donc, bon, il y a tout ça qui rentre en compte. Moi, je fonctionne aussi au destin et je me dis que c’est la loi du sport. Il faut être capable de les accepter, de rebondir et de voir les choses différemment. Je n’ai pas pensé qu’au rugby et j’ai presque profité de cette blessure en bossant ma reconversion. Lorsque j’ai repris, le club m’a dit que je n’allais pas être gardé, alors qu’ils auraient pu m’en parler avant. Tout cela aurait pu être différent. Maintenant, je n’en veux à personne. C’est comme ça.
Tu as vécu quelque chose de très particulier en 2022… Tu as souhaité nous en parler pour la première fois…
C’est l’opportunité d’en parler maintenant que tout ça est derrière moi. C’était en janvier 2022, lorsque je jouais encore en Nationale. Après un match, on était tout simplement avec des copains en train de boire un coup après une victoire. D’ailleurs, c’était le soir de mon anniversaire. Et là, j’ai fait un petit AIT. Un AIT, c’est un AVC sans séquelle au cerveau. Cela a été dû à une malformation du cœur. Cette malformation du cœur n’est pas grave. Elle est présente chez un quart de la population, mais on ne traite que les cas qui se déclenchent, soit par un AVC, soit par un essoufflement du cœur. Moi, ça a été un mini AVC, que l’on appelle donc un AIT. Il y a eu une petite peur quand même, parce que j’ai subi une paralysie du côté droit. Je parlais avec un copain, et j’avais la sensation de ne plus réussir à lui parler, de ne pas réussir à dire ce que j’avais envie de lui dire. Lui, il a compris qu’il y avait un problème. Quand j’ai réussi à parler, je lui ai dit que je ne sentais plus mon côté droit, tout en ayant vraiment le visage paralysé. Etant donné que sur cette période-là ma grand-mère qui en avait fait, je n’ai pas pris de risque. Je suis allé directement à l’hôpital parce que c’est passé au bout d’une trentaine de secondes. J’ai été super bien pris en charge à l’hôpital de Dax.
Bon, avec les moyens qu’ils ont, ils avaient fait tous les examens possibles mais ces derniers ne confirmaient pas cette malformation du cœur. On était un peu embêté. La neurologue ne savait pas trop expliquer mon cas. Finalement, on a décidé de m’envoyer sur Bordeaux pour faire des examens. Et c’est là qu’ils ont confirmé qu’il y a bien une malformation du cœur. C’était un soulagement. Et puis j’étais obligé d’avoir du Kardegic, un anticoagulant. Sauf qu’au niveau de la Fédération, ça a coincé. Elle ne voulait pas que je continue à jouer au rugby car cela aurait pu s’aggraver en cas de commotion cérébrale. C’était trop risqué à leurs yeux. C’était délicat. Moi, j’avais réussi à contacter un joueur de Pro D2, Antonin Berruyer, qui lui avait fait un gros AVC. Sauf que nous, vu que nous étions au niveau amateur donc c’est la Fédération qui décidait alors que pour lui, c’était la Ligue (LNR). Par la suite, j’ai réussi à prendre les choses en main en contactant le service de l’hôpital de Haut-Lévêque de Pessac et notamment le professeur Thambo. Il a été super. Je le remercie encore car on m’avait dit qu’il y avait six mois d’attente pour une visioconférence et que l’opération aurait pu se faire au bout d’un an. Je m’étais dit : ‘merde, comment je vais faire pour mon rugby ?’ Finalement, la secrétaire m’a rappelé et m’a dit que j’avais rendez-vous la semaine suivante. Il m’avait rassuré en me disant que je pouvais jouer et qu’on ferait l’intervention chirurgicale à l’intersaison.
Sauf que la Fédération a encore bloqué et le club (Dax, NDLR) aussi. Je pense qu’ils avaient un peu peur, ce qui peut se comprendre. Le professeur m’avait repris en urgence un mois après pour réaliser l’intervention chirurgicale. Suite à ça, j’ai eu six mois de traitement. L’intervention visait en fait à déployer une sorte de petit parapluie au niveau du coeur. Pour le traitement, ils peuvent préconiser cinq ans mais comme je suis sportif, je pouvais faire moins. J’ai la chance que tout ça soit derrière moi. Le chirurgien m’avait expliqué qu’il y avait peut-être quatre ou cinq mecs sur 40 de mon équipe qui ont la même chose et pour qui cela ne se déclenchera jamais. C’est vraiment impressionnant.
Pourquoi avoir fait le choix de ne pas en parler publiquement avant ?
Au début, on ne savait pas trop sur quoi ça allait déboucher. C’était aussi pour me protéger parce que bon, voir « problème au coeur » dans les journaux, ça alerte directement. Personne ne rigole avec ça aujourd’hui, ce qui est tout à fait logique. Maintenant, je sais que je peux en parler car je n’ai plus aucun risque ni aucune séquelle. J’avais préféré le cacher temporairement jusqu’à savoir ce que j’allais avoir. Surtout que c’était ça le problème. Après quatre jours à l’hôpital, on ne savait toujours pas ce que j’avais. C’est pour ça qu’on avait cité des problèmes de dos avec le club parce que j’avais une petite hernie aussi.
Maintenant, je n’ai plus du tout pleur d’en parler, parce que c’est aussi un souhait. Cela peut arriver à d’autres sportifs. Sur le moment, je me suis dit comment ça se fait qu’on ne traite pas ces gens-là. Mais en fait, c’est qu’il y aurait trop de demandes. Le lendemain, quand j’ai dû expliquer tout ce que j’avais eu, effectivement c’était une sorte d’AVC. Sauf qu’en général, un AIT dure entre cinq minutes à une heure et quand tu arrives à l’hôpital, tu as des séquelles. Moi, ça avait duré une trentaine de secondes à peine. Ils se sont d’ailleurs demandés si ce n’était pas une crise d’épilepsie.
Avec ces blessures à répétition, notamment aux épaules et aux genoux, n’as-tu pas peur de vieillir ?
Je pense que, quand les épaules sont touchées, elles le resteront toujours. Après de Pro D2 à Nationale 2, il y a quand même deux divisions d’écart et ça se ressent en termes de physique. En Pro D2, ça cogne constamment. Il y a quand même encore de l’engagement en Nationale 2, bien entendu, je ne dis pas ça. Mais c’est vrai que là, je suis sur un format qui est un peu adapté à mes capacités physiques. Donc mon épaule gauche qui a été opérée, va bien. Mais j’ai mon épaule droite qui a été douloureuse depuis trois ans, qui n’est pas opérée et qui, quand je reprends certains mauvais coups, fait mal. Mais bon, c’est la loi du rugby. Encore une fois, je reprends l’exemple de mon père qui a une entreprise de bâtiment général. Il travaille 6 jours sur 7. Il a 57 ans, il est cassé physiquement.
Moi, à 29 ans, quand je descends l’escalier, que ça me fait mal aux genoux ou à une cheville, avec parfois les épaules qui tirent… Tu te dis que c’est quand même inquiétant parce que je ne sais pas comment je vais vieillir. T’as beau t’entretenir, mais peut-être qu’à 50, 60 ans, j’aurais le genou gauche détruit. Quand tu joues en Top 14, avec avec les salaires qui sivent, tu sais pourquoi tu te casses physiquement (rires) .C’est sûr qu’en Pro D2 et en étant dans le petit club de la division, financièrement, ce n’est pas pareil. Mais ça reste du plaisir d’avoir vécu de ma passion. Et puis je suis très grand. Mon agent m’avait dit que je ne pouvais pas trop me comparer aux autres. Chez les grands, les articulations sont différentes, C’est comme ça, c’est le sport.