On croyait la blessure refermée, la revanche à portée de bras. Mais samedi soir, au Stade de France, la mémoire s’est rouverte : les Springboks ont encore imposé leur loi d’airain. L’histoire, obstinée, s’écrit à nouveau dans la douleur.
Ce devait être la nuit du dénouement, celle où le souvenir du quart de finale perdu s’effacerait enfin, dans ce même jardin de Saint-Denis. L’air vibrait d’une ferveur quasi mystique, sans rancune, le public debout comme une houle bleue, porté par le désir simple et immense de revanche.
Dès les premières minutes, les Bleus ont jailli avec ce zeste de bravoure qu’on aime à y croire : un jeu rapide, un essai signé Damian Penaud (qui est devenu le meilleur marqueur d’essais de l’histoire du XV de France devant Serge Blanco) en coin après un chip astucieux de Thomas Ramos, puis un autre, et déjà l’audace tricolore. Mais la fable s’arrêta là. Très vite, la réalité reprit sa forme d’enclume.
🇫🇷🇿🇦 Nos Bleus s’inclinent au @StadeFrance pour ce premier de la tournée d’automne face aux Sud-Africains.#XVdeFrance #FRAAFS pic.twitter.com/YaKf8I2dqa
— France Rugby (@FranceRugby) November 8, 2025
Quand l’élan tricolore bute sur le rouleau-compresseur boks
Les Sudafs en ont fait leur marque de fabrique : la beauté du rugby ne réside pas que dans le mouvement fluide ou l’éclair d’un exploit individuel, elle se tisse dans la résilience, dans l’âpreté de l’engagement. Face à l’élan français, l’Afrique du Sud a donc opposé sa science du dur, sa grammaire de fer et de muscles.
Chaque ruck est devenu un champ de gravité, chaque mêlée un morceau de géologie. Les hommes de Rassie Erasmus, même réduits à quatorze après un carton rouge sans contestation possible de Lood De Jager – un tournant tout bonnement théorique -, restaient debout, impassibles, comme si la perte de leur poutre ne changeait rien à l’équation. Le temps, chez eux, ne s’est pas étiré pas : il s’est écrasé.
Sentiment d’impuissance
Ce qui aurait pu être la bascule devint paradoxe. Car le XV de France, malgré les promesses, ne sut que trop rarement transformer ses incursions en certitudes. Trois fois, les Bleus se sont approchés de l’en-but ; trois fois, la muraille bocks s’est refermée, sans pathos. Et peu à peu, l’on vit ce qu’on ne voulait plus voir : cette impuissance tranquille, ce sentiment d’être aspiré dans un engrenage qui ne s’arrête jamais. Et tandis que l’aiguille du chrono penchait, le rouleau-compresseur sud-africain s’enclenchait.
La poussée des golgoths en maillot blanc, en infériorité numérique, fut méthodique. Un maul imposant, un coup de boutoir sur la ligne, et deux essais salvateurs. L’effort se lisait autant que le résultat : 32 – 17.
Alors l’angle est celui de la revanche avortée. Non pas tant par manque de volonté (la France l’eut), mais par naïveté. Par défaut de conversion, de finition, face à une adversité huilée, rodée. Le scénario rappelle tragiquement 2023 : un match maîtrisé, puis le déraillement général. La grisaille. Mais cette fois la marge ne fut pas un point d’écart, mais un sentiment d’impuissance face à une machine.
3⃣9⃣✨
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Seul 𝐦𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞𝐮𝐫 𝐦𝐚𝐫𝐪𝐮𝐞𝐮𝐫 𝐝'𝐞𝐬𝐬𝐚𝐢 𝐝𝐞 𝐥'𝐡𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐁𝐥𝐞𝐮𝐬.
🔥🇫🇷 Monsieur Damian Penaud.#FRAAFS #XVdeFrance pic.twitter.com/uQ9RnZRaKK
Défaut de conclure
Le paradoxe est cruel : un homme en moins chez les Boks, et pourtant, ce sont eux qui ont mené la cadence, fait la différence. La France avait l’élan, la flamme, la folie ; mais pas le contrôle, pas la traduction de cette fougue en victoire.
Les enseignements seront nombreux : la discipline, le réalisme donc, la gestion des moments cruciaux. Ou encore les choix du coaching. Mais l’image restera celle d’une équipe bleue debout, frémissante, puis dominée, sans la moindre étincelle dans un amas de cendres. Celle aussi d’un public espérant voir tomber l’ogre, mais voyant son équipe transformée en proie. Et celle, surtout, de Springboks sereins, à la précision d’horlogers et à la dimension physique inégalée, qui ont définitivement fait de Saint-Denis leur jardin (74% de victoires dont deux titres de champions du monde).
Ce soir d’automne, la revanche s’est dissoute dans la brume des regrets. Avec cette fatalité que cette équipe de France n’a pas eu le souffle, encore moins le poids. Et qu’elle peine surtout à grandir. Quand la sirène a retenti, le Stade de France s’est tu, comme après un nouveau verdict implacable. En attendant, la France reste ce poème d’attaque raturé par la prose du réel. Et la bande de Galthié n’avait plus enchaîné quatre revers à la suite depuis 2018…