Maxime Mermoz ne cache rien. Ses prises de parole sont franches, sincères et toujours bien argumentées. L’ancien trois-quarts centre du XV de France (35 sélections) s’est longuement confié à Ruck Zone et n’a éludé aucun sujet. Le natif d’Epinal, aux quatre Brennus (Deux avec Toulouse, un avec Toulon et un autre avec Perpignan) et deux Coupes d’Europe (avec Toulon), est notamment revenu sur sa fin de carrière précoce et ses nombreux problèmes de santé. Vertiges, douleurs récurrentes, rechute… Mermoz a vécu un véritable enfer. Entretien sans concession.

RUCK ZONE. – Qu’est-ce qui a précipité ta fin de carrière ? 

Maxime Mermoz : J’ai arrêté ma carrière professionnelle en 2020, l’année du Covid. J’en ai profité, car pour moi c’était une opportunité d’appuyer sur le bouton stop. Ça faisait quelques années que j’avais des problèmes d’oreille interne. Les gens ne se rendaient pas vraiment compte et je communiquais très peu là-dessus. Ça a commencé en 2015, où j’ai eu des acouphènes et des petits problèmes d’audition en revenant d’un stage à Tignes avec le RCT. J’avais suivi des ORL qui me disaient que ce n’était pas grand-chose. Ensuite j’ai eu des crises de vertige qui m’ont handicapé. Je ne pouvais plus bouger, avec des nausées, vomissements, mal de ventre… Beaucoup de symptômes assez graves et handicapants. J’ai fait un peu de kiné vestibulaire en voyant des médecins quand je suis allé jouer en Angleterre en 2016/2017. Ça a amélioré ma santé puis j’ai vécu un événement personnel assez compliqué en septembre 2017, lorsque j’étais à Newcastle. J’étais au top physiquement, j’avais fait une préparation extraordinaire avec le club et malheureusement en fin d’été, cet impondérable personnel est venu casser la dynamique. Je reviens en France pendant deux semaines avec très peu de sommeil et beaucoup de stress. Puis je repars à Newcastle pour aller à Philadelphie jouer contre les Saracens.

Je devais être titulaire sauf qu’en atterrissant, j’ai eu des vertiges. Au lieu d’avoir des crises d’une heure, j’avais des crises permanentes, même avec des piqûres des médecins, ça ne passait pas. Les acouphènes, pire encore. A partir de là, ça a été la descente aux enfers. Parfois, en posant mon fils par terre, ça tournait et j’avais de gros flashs dans la tête. Je tombais, je me réveillais dans une autre position… C’était très compliqué à vivre. En fin d’année, je décide de revenir jouer en France. Mon fils revenait aussi, du fait de la séparation avec la maman. Je ne me voyais pas vivre loin de mon fils. Il fallait absolument trouver des médecins pour déceler ce que j’avais et le soigner. Pendant un an j’ai vu tous les spécialistes possibles et imaginables, j’ai même eu des petites opérations et rien n’y a fait. J’ai pu rejouer un peu mais j’étais à peine à 10/20 % de mes capacités. Pas seulement physiques, mais quand on ne peut même pas se tenir debout, regarder quelqu’un ou regarder un objet pendant plus d’une ou deux secondes sans que ça tourne… à partir de là on ne peut plus vivre. 

Ta situation médicale a-t-elle menacé ton retour au Stade Toulousain ? 

À ce moment là, je ne me dis pas « est-ce que je peux rejouer au rugby ». C’est plutôt : « Est-ce que je peux juste vivre normalement ». Me lever, aller à la salle de bain, faire à manger à mon fils et jouer avec lui, faire des courses… C’était devenu impossible. Donc je signe au Stade Toulousain en leur expliquant ma situation et à ce moment-là, Didier Lacroix, qui a été mon coach avant, et Ugo Mola, qui m’a toujours suivi au long de ma carrière, attendaient de moi, au-delà du sportif, une implication pour mettre en place des choses avec eux. Ce sont dans ces conditions là que je reviens à Toulouse, pour boucler la boucle, là où j’ai débuté à l’âge de 15 ans. Même si ce n’était pas soigné, j’arrivais à rejouer et même Ugo Mola a été assez surpris. Il m’avait aligné à plusieurs reprises en tant que titulaire et j’ai pu mettre en place pas mal de choses au Stade avec les nouvelles générations. Je me suis régalé mais il y avait plus de souffrance que de plaisir. A ce moment-là, ça servait à rien de continuer. D’autres clubs me faisaient des propositions mais mon but était de me lever le matin, sans que ça tourne et de pouvoir marcher normalement. 

Je pense que j’avais une autonomie à peu près normale de 45 minutes par jour.

Maxime Mermoz

Quel a été l’impact de ces vertiges sur la fin de ta carrière à Toulouse ? 

Ma concentration, ma mémoire… Je n’avais plus rien en fait. C’était très compliqué. Je faisais beaucoup de choses à l’instinct. Je me souviens d’un match entre Toulouse et Perpignan à Aimé-Giral, je vois Cheslin Kolbe qui va marquer, je vais vers lui pour lui sauter dans les bras et d’un coup, il y a tout qui tourne et je tombe par terre tout seul. Ma maman était dans les tribunes. Elle a compris. Elle connaissait mon état. Très peu de joueurs comprenaient aussi. Dès qu’on finissait l’entraînement, il me tardait de vite rentrer chez moi, de me mettre vite dans le noir et de m’allonger pour que les vertiges s’arrêtent. On pouvait me reprocher de ne pas assez m’impliquer dans la vie de groupe, hors rugby, mais pour moi c’était impossible. Je pense que j’avais une autonomie à peu près normale de 45 minutes par jour. 

Maxime Mermoz, ici sous les couleurs de Toulouse lors de sa dernière saison. Photo Manuel Blondeau – Icon Sport

Quelles répercussions cela avait-il sur ta santé mentale ? 

Rugbystiquement, je n’étais pas à 100 % de mes capacités. Je cherchais du soutien. Médicalement, aucun médecin n’arrive à trouver ce que j’avais et à te le soigner… À ce moment-là, je vis seul, isolé entre quatre murs. Je ne pouvais pas regarder la télé, et même le téléphone, ça me faisait mal à la tête. C’était une forme de dépression. À un moment tu penses aussi à mettre fin à tes jours parce que ce n’est pas vivre, c’est survivre. Tu n’as plus aucun plaisir de vie. Se lever du lit et aller à la salle de bain, c’est une épreuve. Tu prends encore plus conscience de la chance que tu avais d’être en bonne santé. C’était devenu invivable. Psychologiquement, tu es au bord de la rupture. 

As-tu ressenti une forme de lassitude face à l’absence de réponse médicale satisfaisante ? 07’06 

Déjà, une fatigue se crée à force de répéter l’histoire. Ça a commencé en 2015, et entre cette date et 2020, j’ai vu plein de spécialistes. Ça a continué jusqu’en 2023. Répéter, ré expliquer les symptômes… Ça fait revivre la chose. C’est long et tu te dis que t’en as marre. Tu es fataliste et tu te dis « stop j’arrête ». Puis d’autres jours, tu dis non, qu’il faut que tu te battes. Les médecins n’arrivaient pas à déterminer. A travers des symptômes, ça peut être 1000 choses. Même en faisant des examens, on n’arrivait pas à savoir. Le contexte personnel n’aidait pas. C’était particulier à vivre. 

Ces frustrations altéraient-elles ton humeur et ton rapport aux autres au quotidien ? 

J’étais éteint, j’avais beaucoup moins d’énergie, j’étais moins ouvert socialement. Tu es beaucoup plus irritable, sur la défensive, plus agressif… Tu n’es plus toi. C’est une version de toi que tu n’as jamais connue. Voir la vie positivement à ce moment-là était compliqué. 

Sur la fin, as-tu vécu ton activité de rugbyman professionnel comme une corvée ? 

Vivre ça au quotidien, je trouvais ça long et ennuyeux. Intellectuellement mais aussi humainement parlant. Avec tout le respect que je devais à mes coéquipiers, j’arrivais dans un jeune groupe (à Toulouse, NDLR), à Newcastle c’était pareil, donc on n’a pas les mêmes envie ni les mêmes choses à partager au quotidien. En plus, il faut penser que mon état de santé n’était pas au mieux non plus. Ce qui faisait que je me levais le matin, c’est le plaisir que je prenais sur le terrain. Il faut se rendre compte que les matches sont le week-end et que toute la semaine et même si j’aimais les entraînements, ce sont tous ces moments de latence que je trouvais longs. J’avais l’impression que mon plaisir passait par d’autres choses.

Exemple, on est champions de France avec Toulouse en 2019. Je suis très heureux pour l’équipe. Moi, ça ne changeait rien à ma vie car ma santé était toujours la même. Mais je suis heureux et fier d’avoir pu mettre en place plein de choses avec Clément Poitrenaud, avec Ugo Mola, sans que les joueurs le sachent à ce moment-là. Je me disais : « Trouve un moyen de récupérer ta santé même si ça prendra du temps ». Je le dis de manière timide mais mon but est de valoriser un projet et le faire grandir. 

As-tu pu développer des liens forts avec tes coéquipiers à Toulouse dans ces conditions ? 

Au début, j’étais parti depuis plus de 10 ans du Stade Toulousain. D’un côté, tu en as certains qui sont contents que je revienne, d’autres qui sont un peu plus dégoûtés, je le vois très vite (sourire). Tu en as d’autres qui font semblant mais qui, en off, sont bien dégoûtés aussi. Il y a un peu tout ça qui me donnait envie d’arrêter. Cette hypocrisie et cette fausse amitié… A ce moment-là je prends quand même du plaisir, je ressens qu’il y a des attentes sur moi. Au fur et à mesure, en deuxième partie de saison, je me refais mal à une épaule, après un match à Agen en plein hiver avec une température de -10 degrés. Ce genre de match où tu as envie d’être là sans être là (sourire) et je passe du joueur qui arrive avec mon bagage, mes titres, mon statut et mes performances, au joueur qui est blessé et qui ne joue plus. Avec, en plus, mes soucis de santé. Donc à ce moment, beaucoup moins d’interactions. Avant, tout le monde s’intéressait un peu à ta vie, même si on ne sait pas si c’est malsain ou non. Je racontais un peu ma vie personnelle mais beaucoup de personnes s’alimentent des malheurs qui peuvent arriver. À partir de là, je me suis refermé sur moi-même. Je les ai laissés vivre leur vie et j’ai essayé de me concentrer sur comment me soigner et comment revivre normalement. J’ai toujours eu beaucoup de soutien en revanche de beaucoup de personnes, du corps médical, des kinésithérapeutes ou autres. Et heureusement. 

Maxime Mermoz compte 35 sélections avec le XV de France. Photo Icon Sport

N’as-tu pas pensé à « gratter » un dernier contrat dans un club moins huppé ? 

On me l’a proposé. Des clubs de Top 14, Pro D2, Nationale… Pour moi, c’est inconcevable d’être à moitié ou à 70%. Soit tu signes Max Mermoz à son plein potentiel soit rien. Parce que quand je repense à ma dernière saison à Toulouse, je trouve que le rugby n’a strictement pas évolué en termes de jeu. À l’entraînement, même diminué, je pouvais intercepter, anticiper, plaquer, annihiler les actions… Le jeu, tu le ressens et il ne change pas. Puis quand t’as des vertiges, quand tu entraînes ton corps puis que tu as la tête qui tourne, tu te dis que ce n’est pas possible de signer quelque part, de berner les gens. Pour moi, c’était impensable. J’aurais eu honte de faire comme certains, c’est-à-dire faire semblant d’aller mieux et gratter un contrat. On m’a proposé de ne porter par exemple qu’une seule fois le maillot en disant que ça suffisait. Je disais que je ne suis pas une mascotte. J’ai proposé des alternatives. J’avais d’autres compétences et fonctions mais à ce moment-là, on aimait bien mettre les gens dans des petites cases et faire en sorte qu’ils n’en sortent pas. Il y a toujours un mec dans le club qui ne veut pas qu’on aille dans son domaine. Je n’étais pas là pour prendre la place de quelqu’un mais soit je l’ai mal exprimé ou soit ça a été mal perçu. 

La retraite sportive est-elle encore plus une « petite mort » lorsque c’est le médical qui l’impose ? 

Il y a une forme de petite mort mais ça faisait un moment qu’il me tardait de pouvoir faire une pause. Ou en tout cas de m’occuper de ma santé. Voir les matches ou les commenter sur beIN Sports, cela me faisait bizarre sincèrement. Surtout pendant le Covid avec personne dans les tribunes. Je ne me disais pas que je ratais quelque chose. Je ne dis pas que je ne l’ai pas ressentie mais à côté du rugby, j’ai toujours fait de petites choses. On me l’a reproché aussi, mais j’ai toujours aimé vivre d’autres moments. Je comprends, il y a plein de choses qui peuvent nous manquer mais ce que j’ai fait, je l’ai fait, quoiqu’en disent certains. Quand je vois certains qui reparlent de mes performances, compétences, palmarès, et qu’aujourd’hui, les institutions ou les médias font comme si je n’avais jamais joué, c’est marrant car ce sont les même qui, tous les jours, venaient me demander des interviews. Ça me fait juste rire. Quand j’étais acteur dans le rugby, j’étais aussi spectateur pour ne pas m’identifier à ce personnage que les gens pouvaient connaître. 

Je parlais avec le président de Monaco Rugby où j’ai un rôle d’ambassadeur, je disais pourquoi pas reprendre une licence là-bas. Je ne ferai pas tous les matches mais ça peut être envisageable de temps en temps

Maxime Mermoz

Aujourd’hui, tes soucis d’oreille interne sont derrière toi. Songes-tu à faire un retour à la Ma’a Nonu à 39 ans ? 

Euh… (sourire) De manière très surprenante, on a réussi à identifier le problème en 2023. Ça s’appelle une rupture hémato labyrinthique. C’est dû à de nombreux chocs dans le rugby. Il y a un gros hématome dans l’oreille interne. Ça a cassé quelque chose ou ça laisse passer des liquides. C’est difficilement opérable. On a réussi à faire baisser les inflammations et donc réduire les vertiges. Et depuis, j’ai pu reprendre le sport et c’est vrai que quand je publie pas mal de photos à l’entraînement sur les réseaux, je suis plus en forme que quand j’étais joueur (sourire). Je prends moins de chocs aujourd’hui, il y a plus de continuité dans ce que je fais. Je me sens presque plus en forme que quand j’étais joueur. J’ai repris le rugby à toucher, j’ai repris le rugby plaqué mais sur des tournois internationaux à 10 contre 10 à Dubaï où on est champions avec les Bali Legends. C’était Alex Tulou (ancien 3e ligne de Bourgoin, Castres ou encore Montpellier, NDLR) qui m’avait appelé.

On joue contre d’anciens internationaux donc je me suis retrouvé par exemple contre les frères Armitage, Chris Masoe et plein d’anciens All Blacks ou Australiens. Au début tu te dis que tu as la petite boule au ventre qui revient mais une fois par an, c’est kiffant. Des fois, tu y repenses mais la réalité est que ça reste un sport de contact. Quand je suis allé voir le chiropracteur il n’y a pas longtemps, on voit des arrachements osseux partout (rires)… Il y a des séquelles. J’ai commencé à 4 ans, donc bon. Des fois, ça me titille. Je parlais avec le président de Monaco Rugby où j’ai un rôle d’ambassadeur, je disais pourquoi pas reprendre une licence là-bas. Je ne ferai pas tous les matches mais ça peut être envisageable de temps en temps. 

Le rugby professionnel ne manque-t-il pas ? 

Sincèrement, quand je vois les matches tous les week-ends, on me demande si ça ne me manque pas. Je dis non, car j’ai vécu tout ça. Je l’ai vécu de manière tellement agréable car j’étais sur la performance, la compétition. C’est vraiment un rythme effréné. C’est un quotidien qui ne tourne que sur ça… Être dans une structure professionnelle avec plaisir mais joueur (il hésite)… Le rugby n’a pas particulièrement changé aujourd’hui mais la dimension physique et athlétique, oui. Sincèrement, je pense que j’ai pas mal donné et je me rends compte que je ne suis pas trop en mauvaise santé. Je me dois de la préserver. On a quand même une vie après tout ça. 

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