Depuis une semaine, le Gers vit au rythme des barrages de tracteurs et des slogans agricoles. Éleveurs et agriculteurs bloquent routes et ronds-points pour protester contre l’abattage systématique des troupeaux touchés par la dermatose nodulaire contagieuse et pour dénoncer des accords comme le Mercosur, qu’ils jugent destructeurs pour l’agriculture française. Leur colère fuse, mais sur les barrages, la conversation prend parfois une tournure inattendue : elle glisse vers l’ovalie et les figures locales du rugby national.
Cette proximité n’est pas une simple anecdote. Dans le Sud-Ouest, en général, le rugby est plus qu’un sport, c’est une langue commune, un espace identitaire qui unit les campagnes. Antoine Dupont, capitaine du XV de France et du Stade Toulousain, et fils de cette ruralité, en est l’exemple le plus éclatant. Originaire des Hautes-Pyrénées, issu d’une famille d’éleveurs et formé en partie dans un lycée agricole du Gers, Dupont incarne cette galaxie où cultures sportives et agricoles se rencontrent. Les manifestants en appellent d’ailleurs aujourd’hui à lui pour qu’il soutienne leur combat contre les abattages, y voyant en lui la figure symbolique d’une ruralité qui « ne veut pas disparaître ».
Un vivier du rugby français « qui vient de la ruralité »
« Antoine Dupont, notre figure emblématique du rugby, qui représente notre ruralité des Hautes-Pyrénées, on lui demande de venir à notre soutien, qu’il se positionne contre l’abattage des troupeaux en France, et sauve notre profession, notre élevage français et pyrénéen, a confié un représentant de la coordination rurale des Hautes-Pyrénées à nos confrères de La Dépêche. Le vivier du rugby français vient de la ruralité, du monde agricole, donc aujourd’hui on aimerait que tous les clubs professionnels de rugby se manifestent et mettent une minute d’applaudissements en soutien à l’agriculture française. On souhaite que tout le monde s’oppose à l’abattage total. Aujourd’hui, on a besoin aussi des citoyens par un message sur une voiture, des commerçants, un message sur leur vitrine, non à l’abattage de nos troupeaux. Il faut qu’on sauve notre ruralité et c’est notre richesse française. »
🚨 Les agriculteurs demandent à Antoine Dupont de venir les soutenir ➡️ https://t.co/uxwu8SHwHshttps://t.co/jSJd1NOIeW
— berger edwige (@bergeredwige) December 19, 2025
Cette interpellation n’est pas un hasard. Depuis longtemps, le rugby irrigue les campagnes. Dans les établissements agricoles du Sud-Ouest, il est souvent le sport roi, favorisé par des traditions locales et par la pratique associative. Beaucoup de joueurs professionnels, d’Anthony Jelonch à d’autres internationaux, ont grandi entre champs, élevages et clubs de village, construisant une impossible dichotomie entre la terre et le terrain. Le travail dur, l’esprit d’équipe, la solidarité sont des valeurs communes aux deux mondes.
Rugby, composante de l’identité paysanne
Aujourd’hui, sur les barrages, les conversations oscillent entre revendications agricoles et rugbystiques. On évoque les sélectionnés du coin, on salue les exploits du demi de mêlée pyrénéen, on blague sur les analogies entre une ligne de trois-quarts et un rang de bovins tachetés. Cet humour soulage la tension, mais il trahit aussi un sentiment profond : dans les villages, le rugby n’est pas un luxe urbain, mais une composante de l’identité paysanne. Il donne une voix, une reconnaissance, un lien social que beaucoup estiment menacé par la centralisation des décisions politiques ou par les dérégulations internationales.
Cette mobilisation agricole n’est pas seulement une crise sanitaire ou économique, elle est une crise de reconnaissance et d’existence. Les agriculteurs ne défendent pas seulement leurs bêtes ; ils défendent une manière de vivre, de travailler et de transmettre. Dans ce contexte, le rugby devient plus qu’un refuge, il est un langage politique, une fenêtre d’expression, une plateforme de visibilité. L’appel à Dupont n’est pas seulement une demande de soutien médiatique : c’est la recherche d’un représentant pour un monde qui se sent trop souvent invisible.
Le premier essai d'Antoine Dupont depuis son retour de blessure 🕺🔥#TOP14 pic.twitter.com/cU3oXKNKvd
— TOP 14 Rugby (@top14rugby) December 19, 2025
Rassembler les lignes
À l’heure des blocages et des tracteurs sur la A64 ou les routes du Gers, alors que s’étendent les protestations contre les décisions sanitaires et les accords commerciaux jugés dangereux, la présence du rugby dans les conversations paysannes est symptomatique d’un lien séculaire. L’agriculture et le rugby partagent des valeurs, des hommes et une géographie. Et dans ce coin de France, le maillage entre les champs de maïs et les terrains de rugby ne se dissout pas, même sous la pression des crises.
Dans les discussions autour des barrages filtrants et sur les panneaux d’automobilistes, on pourrait presque entendre l’arbitre siffler une mêlée : la lutte est rude, mais les paysans savent encore rassembler leurs lignes.